La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, février 22, 2009

Kaboul mon amour

Kaboul disco-tome 2 : Comment je ne suis pas devenu opiomane en Afghanistan (2008) de Nicolas Wild (La boîte à bulles)

Début 2005, Nicolas Wild, un jeune et talentueux illustrateur (il a écrit en collaboration avec Boulet le scénario de la bande-dessinée de Lucie Albon Le vœux de Marc, un fort bel album, ma foi…) trouve un travail en…Afghanistan ! Il est chargé par une agence de communication de traduire la toute nouvelle constitution afghane en bande-dessinée dans un pays où le taux d’analphabétisme s’élève à près de 80%. Le récit de ces aventures à Kaboul donnera naissance à une des meilleures bandes-dessinées que j’ai eu l’occasion de lire ces dernières années : Kaboul disco. Il y a, en effet, dans cet album un mélange détonant d’humour (c’est souvent à pleurer de rire) et d’acuité dans un regard très juste sur un pays au fond du gouffre.
On attendait donc avec impatience ce deuxième tome de Kaboul disco qui narre la suite des aventures de Nicolas (tu permets que je t’appelle Nicolas ?) en Afghanistan de l’été 2005 à l’été 2006. Si l’effet de « surprise » ne joue sans doute plus de la même manière, la réussite de ce second volume est également parfaite.
Cette fois, l’agence a chargé ses dessinateurs de concevoir une campagne de sensibilisation des afghans aux dangers de l’opium.
On retrouve dans cet album le talent unique de l’auteur pour décrire sous un angle saugrenu le quotidien de ces expatriés tentant tant bien que mal de panser les plaies d’un pays ravagé par la guerre, la terreur imposée par les talibans et l’occupation américaine. Le récit joue toujours sur un décalage entre le petit monde clos des expatriés (les rivalités entre agences, les soirées mondaines et/ou bien arrosées…) et un danger omniprésent (voir la très belle quatrième partie haletante du récit Kaboul brûle-t-il ?). Une fois de plus, ces évocations sont placées sous le signe d’un humour ravageur qui permet à Nicolas Wild de « dédramatiser » les situations (ce passage absolument hilarant où tous les personnages, l’un après l’autre, tentent d’imaginer ce que l’autre pense) sans pour autant les « déréaliser ».
Ce qui frappe, en effet, dans ce deuxième tome de Kaboul disco (c’était déjà vrai dans le premier), c’est l’acuité du regard de l’illustrateur qui saisit, sans avoir l’air d’y toucher, toutes les contradictions des actions (certes louables) menées par son agence et, d’une manière plus générale, de l’ingérence occidentale dans le bourbier afghan. Contradictions qui prennent leurs racines dans l’histoire même du pays (de manière très légère et parfaitement didactique, l’auteur évoque l’histoire du pays au temps de l’URSS et la manière dont l’Amérique a armé les talibans pour lutter contre le communisme) et qui se poursuivent actuellement (voir le sidérant passage sur les élections « démocratiques »). Comme le disent quelques cases « oniriques », l’action menée par l’Occident pour reconstruire l’Afghanistan se réduit à un peu de scotch suédois et de patafix japonaise pour colmater les brèches d’un immense barrage !
Le dessin et les principes narratifs de la bande-dessinée sont à l’image de l’auteur : d’une finesse et d’une intelligence rares derrière des airs faussement naïfs et candides.
Voilà donc une BD percutante où l’on rit sans arrêt, où l’on apprend plein de choses et où l’on finit par s’interroger sur le sens de certaines actions et le gouffre qui nous sépare de certaines cultures et civilisations.
Bref, c’est une pure merveille…

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samedi, février 14, 2009

Cinéma et littérature

Il est d’usage de parler des liens entre la littérature et le cinéma lorsque se profile à l’horizon la question de l’adaptation des œuvres littéraires à l’écran. Or l’inverse existe aussi : des cinéastes mettent parfois de côté leurs caméras pour s’adonner au plaisir de l’écriture (songeons aux superbes livres autobiographiques de Bergman).
Je viens de terminer deux romans écrits par des individus davantage connus pour leurs œuvres cinématographiques.

Dans Les vacances du pouvoir (Michalon. 2007), Jean-Pierre Mocky imagine les pérégrinations de tous les candidats à l’élection d’avril 2007 pendant leurs vacances.
J’ai bien trop d’estime pour Mocky cinéaste pour m’attarder davantage sur cette farce assez poussive et déjà bien datée (c’est le problème lorsqu’on réagit « à chaud » à l’actualité). En emboîtant le pas à une équipe de paparazzis et de touristes hollandais, l’auteur voudrait tirer à vue sur la classe politique française (ce qui est louable mais qui revient aussi à tirer sur un corbillard !). Malheureusement, il manque tout ce qui fait l’intérêt du cinéma de Mocky : la verve, le rythme et les portraits hauts en couleurs. Pas forcément très bien écrit, le récit ne retient l’attention que lors de quelques rares passages assez enlevés et m’a fait songer à l’un des rares films ratés du cinéaste : Une nuit à l’assemblée nationale. La rage libertaire et drolatique du grand Jean-Pierre s’accommode mal des vicissitudes de la politicanaillerie !

Tout le monde connaît Terry Jones acteur (il fut l’un des piliers des Monty Python) et cinéaste (c’est lui qui coréalisa les films du groupe, que ce soit Sacré Graal ou Le sens de la vie) mais son œuvre « littéraire » est moins renommée. J’aimerai beaucoup lire son livre anti-Bush où il fustige l’interventionnisme américain au Moyen-Orient et c’est avec curiosité que j’ai découvert son Erik le viking (Bragelonne. 2008).
Curiosité parce que j’ai vu (il y a fort longtemps) le film éponyme que Jones réalisa avec Tim Robbins. Or il s’avère que le livre n’a strictement rien à voir avec le film. Il s’agit d’un vrai conte pour enfant qui narre les aventures d’Erik et de ses compagnons, de braves vikings, à la recherche du « pays où le soleil se couche le soir venu ». A chaque chapitre correspond un épisode fantastique (confrontation avec un vieil homme des mers, avec un dragon et toutes sortes d’obstacles imaginables). Ce n’est pas franchement désagréable mais, est-ce un problème d’écriture ou de traduction, je trouve le livre pas très bien rédigé. Ce découpage en chapitres courts donne le sentiment d’une narration hachée qui ne parvient pas à trouver sa propre unité.
De plus, contrairement à ce que l’on pouvait espérer de Terry Jones, le livre n’est jamais drôle et se trouve lesté par les considérations « morales » propres aux contes auxquelles j’ai un peu de mal à accrocher (je les trouve un brin convenues). Reste de très belles illustrations signées Boulet (je sais, vous allez me dire que je ne peux pas dire le contraire ! Sauf que si je ne le pensais pas vraiment, je me contenterais de me taire…) et un univers imaginaire qui pourra peut-être séduire ceux qui ne sont pas trop réfractaires, comme moi, à cette fantaisie...

Pour terminer, un petit mot sur le Procès de Jeanne d’Arc de Bresson. J’ai dégotté aux puces le scénario du film (Julliard. 1962). C’est intéressant de le lire quand on connaît le film car on se rend compte à quel point un scénario n’est rien sans le traitement que lui fait subir ensuite le metteur en scène. Bien sûr, à travers les dialogues on entend les voix blanches des interprètes et on se remémore la sécheresse du film. Mais c’est par l’art de son cadre et de son montage que Bresson parviendra à faire de ce scénario sans réelles « qualités » (je parle au niveau purement « littéraire ») un film immense…

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dimanche, février 08, 2009

Les années Marcellin

Ministre de l’intérieur sous De Gaulle puis Pompidou, Raymond Marcellin fut l’une des cibles privilégiées des caricaturistes de l’époque d’autant plus qu’il eut le redoutable privilège d’officier pendant les évènements de mai 68. L’un des traits marquants du règne de « Raymond la matraque » furent les frasques d’un journal « bête et méchant » que le gouvernement ne manqua pas d’interdire lorsqu’il titra, à la mort de De Gaulle, « Bal tragique à Colombey : un mort ». Vous avez tous reconnu le Hara-Kiri de Choron et Cavanna et c’est sur une évocation du vrai « bal tragique » (un fait divers qui fit la une des journaux quelques temps avant la mort de Charlot) que s’ouvre le recueil de textes de Delfeil de Ton On peut cogner, chef ? (Editions du Square. Série bête et méchante).
Relire ces textes du début des années 70 est un moyen assez agréable de se replonger dans une ambiance que nous n’avons pas connue et de réaliser à quel point le journalisme pouvait alors être virulent. Les textes de Delfeil de Ton (qui écrit actuellement une très belle histoire d’Hara-Kiri dans les pages de Siné-Hebdo) peuvent se diviser en deux catégories.
D’une part, les textes purement fantaisistes où l’auteur joue volontiers sur l’absurde (par exemple, les pages où il revisite l’histoire de France). Pour ma part, je trouve que c’est l’aspect le moins intéressant du recueil. D’abord parce que ce recours à l’absurde est devenu une telle tarte à la crème qu’on s’en lasse assez rapidement, ensuite parce que Delfeil de Ton n’a ni le génie d’écriture et d’imagination d’un Pierre Desproges. Ses textes qui relèvent de cette catégorie ne sont pas très drôles et on peut leur préférer la géniale rubrique qu’inventeront Choron et Gébé : l’art vulgaire. En revanche, les textes où l’auteur s’attaque à des faits d’actualités (l’interdiction d’un concert de jazz par les sbires de Marcellin) sont beaucoup plus corrosifs et intéressants. Ici se révèle la plume acide du pamphlétaire et c’est celle-ci que nous préférons…

C’est toujours sous le règne de Marcellin qui sortit le premier roman policier d’A.D.G la divine surprise. Il est très dommage que la présumée sensibilité « d’extrême droite » d’A.D.G semble empêcher une véritable redécouverte de cet auteur assez extraordinaire. A propos de cette appartenance sulfureuse, il faudrait signaler deux points. D’une part, il me paraît difficilement envisageable qu’un eunuque du Front National dédicace l’un de ses livres à…Jules Bonnot et à tous les bandits d’hier et d’aujourd’hui ; d’autre part, il se dégage de la divine surprise une telle haine du flic et de l’autorité qu’on voit assez mal comment cet auteur pourrait être récupéré par un ridicule parti nationaliste.
Alors certes, le livre est également dédié au pamphlétaire « réactionnaire » Michel-Georges Micberth et il fait preuve d’un délicieux mauvais esprit contre l’humanisme bien-pensant mais je n’arrive pas à y voir quelque chose de « fasciste ».
La divine surprise est un polar tordant qui narre les aventures d’une famille de gangsters (enfin, un père et son fils) prise dans les mailles d’une histoire haute en couleurs (braquages, guerre des gangs contre des Yougoslaves…). Plus que le récit, c’est le style d’A.D.G qui fait mouche, un style unique où se mêlent des réminiscences céliniennes, le bon vieil argot du père Simonin et les gallicismes des Hussards (« le ouisquie », « les hachélèmes »…).
Un vrai bonheur d’écriture !

Le féminisme, sous la forme que nous lui connaissons actuellement, a également connu son essor sous Marcellin (c’est au début des années 70 qu’ont eu lieu les premiers meetings du MLF). Vous connaissez un peu mon point de vue sur ledit féminisme : autant je déteste ce mouvement lorsqu’il est purement « communautariste », axé sur de seules revendications partielles (c’est la tendance Halimi-Alonso) ; autant j’ai beaucoup de sympathie pour les femmes qui n’envisagèrent pas l’émancipation de la Femme autrement que corrélative à l’émancipation globale de l’individu. Citons, par exemple, Théroigne de Méricourt, Louise Michel, Rirette Maîtrejean ou encore Valérie Solanas. Emma Goldman fait assurément partie de cette deuxième catégorie. Principale meneuse du mouvement anarchiste aux Etats-Unis où elle a émigré au début du 20ème siècle (elle fut la compagne d’Alexandre Berkman), Emma Goldman fut célèbre pour ses nombreuses conférences et sa propagande en faveur d’idées libertaires.
J’ai dégoté une réédition de deux textes de notre grande pétroleuse édités chez Syros à la fin des années 70 : la tragédie de l’émancipation féminine et Du mariage et de l’amour. Pour que ces deux courts textes fassent un livre, ils ont été agrémentés d’une préface et de notes d’une rare bêtise, assez caractéristique d’ailleurs du sectarisme d’un certain féminisme. Si l’on passe outre ces éléments, les deux textes n’ont rien perdu de leur force (je n’ai pas le livre sous la main mais j’essaierai d’en publier quelques extraits) et plaident pour une émancipation de l’individu, qu’il soit homme ou femme. Chez Goldman, on ne ressent ni cette frustration, ni cette haine de l’homme qu’on retrouve chez une imbécile comme Alonso. La Femme n’est pas chez elle une unité insécable, qu’il faut défendre en tant que telle (je ne vois pas en quoi une femme flic ou patronne serait moins ignoble qu’un homme dans ces stupides rôles !). Il s’agit plutôt de la défendre en tant qu’individu devant se séparer de ses chaînes et vivre selon ses désirs.
Le propos de l’auteur n’est pas réformiste (qu’il y ait autant de femmes que d’hommes dans l’hémicycle puant de n’importe quelle assemblée nationale, la belle affaire !) mais révolutionnaire.
C’est pour ça qu’elle continue de nous toucher…


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