La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

samedi, janvier 24, 2009

L'inaccessible étoile


"La mort n'est peut-être pas la chose la plus difficile qui soit dans la vie d'un peintre. Je déclare que je ne sais rien à ce sujet, mais à la vue des étoiles, je plonge toujours dans la rêverie, tout aussi simplement que me font rêver les points noirs sur la carte, qui représentent des villes et des villages. Je me demande pourquoi les points qui brillent au firmament devraient être moins accessibles que tous les points noirs noirs sur la carte de France? Tout comme nous prenons le train pour nous rendre à Tarascon ou à Rouen, nous prenons la mort pour atteindre une étoile. Dans ce raisonnement, une chose est certaine : aussi longtemps que nous sommes en vie, nous ne pouvons pas aller sur une étoile, tout aussi peu que pouvons prendre le train comme nous sommes morts. Toujours est-il qu'il ne me semble pas impossible que le choléra, les calculs rénaux, le cancer et phtisie soient des moyens de transports célestes, de même que les bateaux à vapeur et les chemins de fer sont des moyens de transports terrestres. Mourir tranquillement de vieillesse signifierait alors y aller à pied."

Van Gogh (Lettres à Théo)



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mercredi, janvier 21, 2009

Elections américaines

Vous ne pouvez pas savoir à quel point je me fiche royalement de l'accession à la maison-blanche d'Obama. En revanche, j'avoue être ulcéré par la manière dont les journaputes et les politocards se refont une bonne conscience sur son nom et l'hallucinante façon dont ils se rengorgent fièrement de la victoire de celui qu'ils présentent comme le Bien absolu (misère de la discrimination positive!).
Du coup, j'ai eu envie de vous proposer un brillant petit passage l du Manifeste d'Unabomber qui lamine de manière assez perspicace l'horreur de cette bonne conscience universelle :

"Voilà une bonne illustration de la manière dont l'individu de gauche hypersocialisé prouve son attachement effectif aux conventions de notre société, tout en prétendant s'y opposer. De nombreux militants sont en faveur de l' "action affirmative"; ils réclament des emplois de prestige pour les Noirs, un enseignement de meilleur qualité et mieux subventionné pour leurs écoles. Ils tiennent le mode de vie du sous-prolétariat noir pour une tare sociale. En fait, ils souhaitent l'intégration du Noir dans le système; ils veulent en faire un cadre d'entreprise, un avocat, un homme de science comme le Blanc de la moyenne bourgeoisie. Les gens de gauche rétorqueront qu'ils ne veulent pour rien au monde faire du Noir une copie conforme du Blanc; qu'à l'inverse, ils souhaitent préserver la culture des Afro-Américains. Mais en quoi consiste au juste cette préservation de la culture afro-américaine? Elle se réduit pour l'essentiel à manger des plats traditionnels noirs, à écouter de la musique noire, à s'habiller à la mode africaine et à fréquenter une église pour Noirs ou bien une mosquée. En d'autres termes, elle ne se manifeste que dans des domaines superficiels. Dans les choses ESSENTIELLES, la majorité de la gauche, de type hypersocialisé, souhaite que l'homme de couleur se conforme aux idéaux du petit-bourgeois blanc. Ils veulent lui faire étudier des matières techniques, ils souhaitent qu'ils devienne un homme de science ou un cadre, qu'il passe sa vie à grimper l'échelle sociale pour prouver que les Noirs sont aussi capables que les Blancs. Ils veulent des pères de familles noirs qui soient responsables, des gangs de jeunes Noirs qui soient non violents, etc. Mais ce sont exactement les valeurs du complexe industrialo-technologique. Le système se moque éperdument de savoir quel type de musique un homme écoute, quel genre de vêtements il porte ou bien quel Dieu il adore, pour autant qu'il étudie à l'école, qu'il exerce un métier respectable, qu'il grimpe dans l'échelle sociale, se comporte en père "responsable", ait une conduite non violente, et ainsi de suite. En fait, en dépit de toutes ses dénégations, l'homme de gauche hypersocialisé veut intégrer le Noir dans le système et lui en faire adopter les valeurs."

L'avenir de la société industrielle

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dimanche, janvier 18, 2009

Lectures séditieuses

Les apparences sont trompeuses : même si je publie régulièrement des notes sur mon « journal cinéma », je n’ai pas une minute à moi et j’ai du mal à alimenter cette cave. Alors que j’espérais faire une note spécifique pour chacun des ouvrages dont je vais vous parler, je dois me contenter d’un petit panorama lapidaire.

Commençons par Les En-dehors : anarchistes, individualistes et illégalistes à la « Belle-époque » d’Anne Steiner (L’échappée). Comme son titre l’indique, il s’agit du récit « romancé » de l’épopée anarchiste au début du 20ème siècle. Tous les faits relatés sont historiques mais Anne Steiner choisit de raconter cette histoire par le prisme d’un personnage (Rirette Maîtrejean) et de le faire sous une forme narrative proche du roman.
Rirette Maîtrejean est un personnage assez fascinant puisqu’il s’agit d’une anarchiste et d’une femme émancipée qui quitta un giron familial d’origine modeste pour ne pas être condamnée à l’esclavage réservé aux gens de sa condition. Elle « monte » à Paris où elle fait la connaissance d’Albert Libertad, rédacteur du journal l’anarchie et de Victor Serge qui sera son compagnon. Avec beaucoup de souffle et de verve, Anne Steiner nous conte l’histoire de cette jeune femme qui participa activement aux grandes heures de la geste anarchiste et fut assez proche des membres de la future « bande à Bonnot » (Raymond Caillemin était un grand ami de Victor Serge). Par le biais de Rirette, l’auteur revient sur l’épopée sanglante des « bandits tragiques » et les luttes intestines au sein du mouvement anarchiste autour de la question de l’illégalisme.
Alors qu’elle avait repris avec Victor Serge la direction du journal l’anarchie au moment de la mort de Libertad, Rirette Maîtrejean et son compagnon sont jetés en prison au moment du procès Bonnot. C’est alors Ernest Armand (Anne Steiner perpétue l’erreur de l’appeler Emile) qui reprendra les rênes du baveux.
Pour ceux qui ne connaissent rien aux différents visages du mouvement anarchiste, ce livre palpitant est une excellente entrée en matière.

Poursuivons par l’ouvrage le plus à la mode du moment (tant mieux !), à savoir le fameux l’insurrection qui vient du Comité invisible (La Fabrique). L’arrestation scandaleuse de Julien Coupat et de ses compagnons a mis sous le feu des projecteurs cet excellent essai théorique où en un minimum de pages, les auteurs décrivent la situation insurrectionnelle qui est celle de nos sociétés occidentales (l’exemple récent de la Grèce prouve que le livre est plus qu’un libelle anarcho-gauchiste). Contrairement à ce que ces imbéciles de journalistes ont pu prétendre, il ne s’agit en aucun cas d’un manuel du parfait petit saboteur mais d’un ouvrage qui s’inspire énormément de la théorie situationniste et qui l’adapte à notre époque.
La première partie est un hommage à Dante et à ses cercles infernaux. Avec une véritable acuité, le comité invisible pointe tous les signes de décomposition de notre époque. Cette manière quasi « stratégique » de quadriller le terrain du désastre rappelle celle de Debord tandis que les thèses sur la « soumission durable » aux impératifs du « Bien » (protection de l’environnement, citoyenneté…) rappellent celles d’un René Riesel.
La deuxième partie propose des solutions concrètes et actualise les projets d’autogestion conseilliste nés dans la foulée de 68. Les conseils ouvriers laissent place aux « communes » et à leur libre association. A lire absolument.

Dans le même registre, j’ai découvert le fameux manifeste Unabomber (L’avenir de la société industrielle. Editions du Rocher). Unabomber, c’est ce fameux « terroriste » qui envoyait des colis piégés à divers parasites de la société (patron d’agence publicitaire, universitaires…) pendant une vingtaine d’années et qui promis d’arrêter ses attentats si les journaux à grands tirages publiaient son manifeste. Un peu après cette publication, il fut arrêté.
Que dire de ce manifeste ? Dans sa préface, Annie Le Brun parle « d’art brut » ou encore de « bombe artisanale ». Effectivement, il y a quelque chose de bricolé, d’un peu lourd et pas très profond dans ce manifeste. Pourtant, certaines intuition d’Unabomber sont très pertinentes, notamment sa virulente critique de la gauche et cette manière très juste de montrer comment le « politiquement correct » est une des idéologies permanentes tant elle tend à soumettre les individus au nom du Bien (là encore, j’ai perçu des ressemblances avec les thèses de Riesel et il ne me paraît pas étonnant que le manifeste d’Unabomber ait été réédité chez « l’encyclopédie des nuisances »). En revanche, je suis moins convaincu par sa volonté de destruction totale du système industrielle. Qu’une révolution soit nécessaire, nous en sommes convaincu ; mais qu’elle amène à une situation encore moins séduisante que ce peut nous offrir le présent (je ne vois pas qui pourrait adhérer à son projet de retour benêt à la nature et de se passer de réfrigérateur !), voilà qui nous laisse un peu perplexe.
Comment concilier alors le savoir-faire technologique et le « confort » moderne avec une véritable émancipation de l’individu, la question reste ouverte ?

Jean Rollin fit partie, dans sa jeunesse, de la fédération anarchiste. Mais même si ses mémoires témoignent qu’il n’a pas désavoué ses amours de jeunesse (sa haine des chasseurs et des militaires comme de toute autorité est assez réjouissante), il sera surtout question de cinéma dans Moteurcoupez ! Mémoires d’un cinéaste singulier (E/dite). Certains n’ont pas manqué de le remarquer, l’ouvrage est parfois un peu fouillis et conduit le cinéaste à se répéter. Mais à cette petite réserve près, le livre est passionnant et fourmille d’anecdotes savoureuses. Rollin évoque le souvenir de sa mère (qui connut fort bien Blanchot et Bataille) et de ses jeunes années cinéphiles (la cinémathèque de Langlois). Puis il détaille, film après film, sa carrière singulière, émaillant ses récits de détails piquants ou surprenants (ses histoires de fantômes). Il raconte avec une passion communicative son goût pour les vampires, la littérature populaire, les illustrés et la BD. Il évoque avec une certaine gouaille ses années X et prouve en quelques pages enlevées que le cinéma porno des débuts n’avait rien à voir avec l’ignoble industrie qu’il est devenu.
Un autre reproche, tout de même (qui n’en est pas un !) : l’ouvrage est si palpitant qu’on regrette énormément que Rollin n’en dise pas plus. On aimerait qu’il parle plus de Losfeld et Kyrou dont il fut très proche. On regrette qu’il ne s’appesantisse pas plus sur sa carrière « littéraire »… Même s’il avait fait 800 pages, je crois que j’aurais dévoré ces mémoires de la même manière.
Un détail : je pense que le livre peut intéresser tout le monde, y compris ceux qui n’ont que peu d’appétit pour la « série Z ». A ne pas louper, donc…

J’ai été suffisamment long pour aujourd’hui : je ne parlerai donc pas des belles images d’Hara-Kiri si ce n’est pour vous dire que c’est absolument génial : féroce, subversif, du plus mauvais goût imaginable et constamment hilarant. Vive Choron et son équipe !

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