La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mercredi, avril 23, 2008

Deux morts

Ayant eu beaucoup de mal à trouver le livre qui me satisfasse dans la catégorie « littérature nordique » (ne l’ayant d’ailleurs pas trouvé, je me suis rabattu sur un classique), j’en ai profité pour écluser un peu ma PAL (pile à lire) !

Je me suis, bien entendu, rué sur Tout sur le personnage de Gérard Lebovici (éditions Gérard Lebovici/ Champ Libre), ouvrage dont le célèbre producteur et impresario avait eu l’idée avant son assassinat. Il ne s’agit ni d’une « biographie » ou de quelconques « mémoires » mais d’une volonté de « rendre la honte plus honteuse en la livrant à la publicité. »

Comprenez que Lebovici avait l’idée d’utiliser le concept que Debord reprendra plusieurs fois (dans Considérations sur l’assassinat de Gérard Lebovici ou Cette mauvaise réputation, par exemple), à savoir la compilation commentée de coupures de presse le concernant.

Malheureusement, la fin tragique de l’homme ne lui permit pas de se livrer à ces commentaires et il ne reste ici qu’un recueil d’articles parus dans la presse ou de lettres de ses ennemis.

Le livre est divisé en deux parties : avant et après l’assassinat.

La première est celle qui laisse le plus perplexe et qui empêche pour deux raisons d’adhérer totalement au projet. Première raison, entièrement subjective : les lettres exposées sont souvent écrites par des individus pour qui j’ai de l’estime (Guégan, Khayati, Manchette, Simon Leys, Jean-Pierre Voyer, Renaud et même le sympathique Isou) et dont je trouve les motifs de mécontentement assez légitimes. D’autre part (raison objective), certaines lettres sont volontairement tronquées par les soins de l’éditeur (on peut lire intégralement celle de Guégan et consorts dans Montagne Sainte-Geneviève… et celles de Voyer dans Hécatombe) et cette « maspérisation » donne à l’entreprise de Lebovici une certaine malhonnêteté intellectuelle.

Arrive par la suite la deuxième partie, recueil des articles consacrés à la mort du producteur et éditeur. Et là, c’est passionnant et… terrifiant. Terrifiant parce que sans rien affirmer, le livre montre l’incroyable bêtise de la presse (tout titre confondu !), son pouvoir de falsification et son incapacité à écrire une seule chose de vraie !

Même si nous passons sur les choses les plus grossières et abjectes des torchons d’extrême droite qui n’ont rien à prouver en la matière (quand même, l’antisémitisme du sinistre article de Présent nous replonge dans les années 30 !) , nous apprenons par les autres folliculaires que Lebovici appartenait à la galaxie terroriste des années 70 (alors qu’un seul coup d’œil au catalogue des éditions Champ Libre aurait montré aux journaleux qu’avec Debord, ils se sont au contraire escrimés à montrer les connivences objectives entre les brigades rouges et l’état italien !), qu’il fut anarchiste, plus ou moins mafieux (ah ! ses fameux « liens » avec Mesrine), agent s’employant à « l’ébranlement de notre société » (ça, c’est tiré du Quotidien de Paris) et qu’à côté de ses activités de « lumière » (le cinéma, Catherine Deneuve, Truffaut et Resnais), il était manipulé dans l’ombre par son « gourou » Guy Debord qui en prend plein la tête lui aussi !

Pour ceux qui croient encore au pouvoir d’ « information » de la presse, ce petit livre s’avère vite édifiant…

***

Je suis mort de Marc-Edouard Nabe (Gallimard. L’infini)

Très court roman où Nabe imagine sa propre mort pour revenir sur « l’échec » de sa carrière en terme de reconnaissance. Nul n’ignore désormais sa fameuse première prestation télévisée à Apostrophes qui le grillera définitivement dans les médias et qui lui valut un coup de poing dans la figure de la part du grotesque rince-doigts Benamou (on a vu ce qu’était devenu cette épluchure !). Dans Je suis mort, cet épisode est transposé de telle sorte que Nabe devient un comédien qui lors d’une première a soudainement un trou de mémoire qui lui vaudra une tomate en pleine figure. Ce « trou » (imaginez la manière dont l’auteur file la métaphore !) lui fermera toutes les portes et il devra alors mener une carrière « parallèle » d’acteur silencieux, spécialisé dans le mime (ce qui lui vaudra néanmoins un petit cercle d’amateurs).

Le lecteur aura plaisir, à la lecture de ce petit roman, de découvrir derrière des pseudonymes, des personnalités qui eurent de l’importance pour Nabe (Sollers et Jean-Edern Hallier, en particulier) mais aussi de voir comment une dizaine d’années avant la fameuse préface à la réédition du Régal des vermines, l’auteur mettait déjà en scène son « échec ». Il parle déjà de son voisin de pallier (dont le nom de Klouelbec dissimule à peine la personne de Michel Houellebecq) pour mettre en évidence leurs destins opposés.

Ce n’est sans doute pas ce que Nabe a écrit de mieux mais Je suis mort est très plaisant à lire, souvent assez drôle et la lettre finale à la mère est bouleversante.

A découvrir, donc…

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jeudi, avril 17, 2008

Bibliothèque idéale n°13 : la littérature lusitanienne

Le gardeur de troupeaux et les autres poèmes d’Alberto Caeiro avec Poésies d’Alvaro de Campos (1914) de Fernando Pessoa (Gallimard. Poésie 2006)


Retour à la bibliothèque idéale avec, ma foi, une catégorie qui ne va pas m’attirer de nombreux commentateurs, à savoir la littérature lusitanienne (entendez par là la littérature portugaise et brésilienne). Non seulement je n’avais lu aucun auteur de ces pays mais mis à part quelques noms propres (Pessoa, Amado) ou titres (Amour de perdition, parce que Manoël de Oliveira l’a adapté au cinéma), je n’ai pratiquement jamais entendu parler des livres cités dans la liste.

Difficile d’effectuer un choix dans ces conditions et j’ai été au plus simple en me ruant sur les poésies de Pessoa, le plus célèbre des auteurs lusitaniens (c’est aussi le plus simple –le seul ?- à trouver dans les librairies de province !).

J’ai envie d’écrire la même chose que ce que je disais à dans ma note consacrée à Eluard : difficile de « commenter » de la poésie. Notons cependant qu’au cours de son existence, Pessoa s’est plu à s’inventer de nombreux « doubles », offrant à chaque fois au lecteur une facette différente de sa propre personnalité.

Les poèmes signés Alberto Caeiro représentent la veine « païenne » de Pessoa, des textes marqués par un rapport au monde direct, aucunement troublé par une quelconque métaphysique ou pensée humaine. Tout passe par le regard chez Caeiro :

« Je regarde et je m’émeus.

Je m’émeus ainsi que l’eau coule lorsque le sol est en

pente.

Et ma poésie est naturelle comme le lever du vent. »

En dehors de ce regard, il n’y a rien : les choses sont les choses, indépendamment de ce que la pensée humaine veut leur prêter. Inutile alors d’espérer avoir la moindre influence sur le monde :

« Si les choses étaient différentes, elles seraient différentes, voilà tout.

Si les choses étaient selon ton cœur, elles seraient selon ton cœur.

Malheur à toi et à tous ceux qui passent leur existence

à vouloir inventer la machine à faire du bonheur ! »

Je ne sais pas si à ce point de détachement, on peut encore parler de stoïcisme mais la beauté des vers libres de Pessoa réside dans la manière qu’il a de faire ressentir physiquement la présence du monde environnant. Et parfois de laisser percer une certaine mélancolie face à son immuabilité qui contraste avec l’éphémère des passions humaines :

« Le souvenir est une trahison envers la Nature,

parce que la Nature d’hier n’est pas la Nature.

Ce qui fut n’est rien, et se souvenir c’est ne pas voir.

Passe, oiseau, passe, et apprends-moi à passer ! »

Alvaro de Campos incarne davantage le pendant « moderne » de Pessoa (parfois proche des futuristes italiens). Lorsqu’il écrit « Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde », j’ai songé au grand Arthur Cravan. Les poésies regroupées ici témoignent du même regard sur le monde même si la désillusion l’emporte désormais sur le total détachement. Pour preuve, ce passage que je trouve magnifique et qui fera office de conclusion :

« Nous avons tous deux vie :

la vraie, celle que nous avons rêvée dans notre enfance,

et que nous continuons à rêver, adultes, sur un fond de

brouillard ;

la fausse, celle que nous vivons dans nos rapports avec les

autres,

qui est la pratique, l’utile,

celle où l’on finit par nous mettre au cercueil. »

NB : Alors, messieurs dames, quels livres lusitaniens me conseillez-vous pour étayer ma très pauvre, en la matière, bibliothèque idéale?

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mardi, avril 15, 2008

L'aventure de Champ Libre (suite et fin)

Montagne-Sainte-Geneviève, côté cour : éditions champ libre 2 (1972-1974) de Gérard Guégan (Grasset)




Interrompons un instant le cours de notre « bibliothèque idéale » pour nous intéresser à la suite de l’histoire mouvementée des éditions Champ Libre, sans doute la plus belle aventure éditoriale de l’après-68.

Dans le premier volume de cette chronique (voir ici), Gérard Guégan racontait la création de cette maison d’édition et la manière dont le navire fut lancé et dirigé à deux (Lebovici, le célèbre impresario assassiné mystérieusement en 1984, apportant l’argent tandis que Guégan veillait sur la politique éditoriale).

Ecrit de la même manière vivante et captivante (chapitres courts, digressions bienvenues, mélancolie tempérée par un humour constant…), le livre nous happe pour ne plus nous lâcher.

Champ Libre de 1972 à 1974, c’est d’abord un catalogue impressionnant où la littérature (Boulgakov, James, La rage au cœur de Guégan) côtoie les « classiques de la subversion » (Coeurderoy préfacé par Vaneigem, Darien et son Ennemi du peuple – je me damnerais pour le dénicher ! et Zo d’Axa), où les essais théoriques (le début des œuvres complètes de Bakounine, Hegel) et historiques (un livre de Barrot sur le communisme, la révolution de Landauer) succèdent à des écrits sur l’art (Ribemont-Dessaignes, Pessoa…), le cinéma (le délicieux Votez pour moi de WC Fields) ou des traités stratégiques (Napoléon, Gracian, Clausewitz…). A cela s’ajoute la création (par notre cher Manchette) de la collection « Chute Libre » où se trouvent réunis divers titres de SF américaine ou de polars déjantés.

C’est ensuite le récit d’une équipe soudée autour de Guégan où l’on retrouve le critique littéraire Raphaël Sorin, l’illustrateur Alain Le Saux et le traducteur clochardisé Michel Pétris qui va subir divers tumultes, de l’euphorie d’une indéniable réussite jusqu’à la tempête que marquera la rupture définitive entre les deux Gérard.

Guégan tente de cerner les origines de cette scission qui le poussera à fonder les éditions du Sagittaire par la suite. Il égratigne au passage les situationnistes à qui l’on associe, sans doute à tort, Champ Libre. Debord est présenté ici comme l’âme damnée de l’entreprise, sorte de grand gourou invisible tirant les ficelles dans l’ombre. J’avais été agacé dans le premier volume par certaines attaques qui me semblaient gratuites. Dans ce second tome, on sent Guégan amer mais pas aigri et j’avoue être parvenu à comprendre certains de ses griefs envers l’auteur de la société du spectacle (ce qui n’enlève rien à l’importance qu’ont pour moi les écrits de Debord).

N’allez pas croire que le livre soit uniquement le récit de petites et grandes querelles au sein d’un microcosme minuscule qu’est la cuisine de l’édition. A travers cette épopée, Guégan fait revivre toute une époque et les évolutions sociales qui lui sont associées. L’auteur se remémore la mort de Pompidou, les manifestations de la Gauche Prolétarienne , un concert mouvementé de Léo Ferré, les scandales provoqués par les traductions de Pétris et les discussions théoriques autour de la lutte armée (Champ libre a édité en France les textes de la bande à Baader). Il évoque également les rencontres qu’il a pu faire pour mener, à bien ou pas, divers projets : Warhol, Schuhl, Boudard, Thirion, Dominique de Roux (pour un Cahier de l’Herne consacré à la guérilla qui ne verra pas le jour) ou encore William Burroughs.

Cinéphile émérite, Guégan raconte les séances de projection de La dialectique peut-elle casser des briques ? de Viénet (en présence de Dewaere, qui a doublé l’un des acteurs du film) ou le bide de l’adaptation par Debord de La société du spectacle pour lequel il s’est retrouvé attaché de presse.

Le livre fourmille d’anecdotes savoureuses et c’est l’un des plus captivants que l’on puisse lire en ce moment pour peu que l’on s’intéresse à la vie artistique, intellectuelle et politique de la France des années 70.

Je me suis régalé.

PS : Pour ne pas perdre le rituel désormais immuable des petites questions finales, évoquons les maisons d’édition. Champ libre fait partie des rares éditeurs (avec Pauvert, Losfeld et désormais la collection Imaginaire de Gallimard) dont les livres m’intéressent tous, presque indépendamment de leurs titres. Avez-vous comme ça des éditions et collections de livres sur lesquelles vous vous ruez les yeux fermés ?

Deuxième question : même si les plus vieux titres n’ont pas 40 ans, les livres édités chez Champ libre sont devenus assez rares (et plutôt onéreux sur le marché !) : en avez-vous dans votre bibliothèque ? Lesquels ? (pour ma part, jusqu’à aujourd’hui je n’en possédais que 4 : deux édités après le départ de Guégan : les sublimes Œuvres d’Arthur Cravan et les magnifiques Quatrains d’Omar Khayyâm et deux datant de son « époque » : le désormais impubliable journal d’un éducastreur de Jules Celma et Votez pour moi de WC Fields ! Aujourd’hui, ô joie !, j’ai dégotté Gare à la bête de Farmer et Gérard Lebovici : Tout sur le personnage : nous en reparlerons !)

D’ailleurs, si certains veulent se débarrasser de leurs collections, qu’ils m’envoient un mail…

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mardi, avril 08, 2008

Bibliothèque idéale n°12 : la littérature italienne

Conversation en Sicile (1937-38) d’Elio Vittorini (Gallimard. L’imaginaire 2005)

Ayant découvert il y a peu Sicilia !, le très beau film des époux Straub ; j’avais très envie de lire le livre dont il était tiré. Heureuses coïncidences : ce récit figure à la fois dans la « bibliothèque idéale » et il est en plus édité par Gallimard dans la collection L’imaginaire (inutile de redire l’affection que je porte à ladite collection !). Elle est pas belle la vie ?

Dans un premier temps, j’ai constaté l’absolue fidélité des Straub au texte de Vittorini même si les cinéastes ont épuré une trame pourtant déjà « sèche » et sans fioriture. Dans le livre, on comprend mieux, par exemple, les raisons (même si elles demeurent assez abstraites) qui poussent le narrateur (Sylvestro) à retourner voir sa vieille mère en Sicile alors qu’il est désormais installé aux Etats-Unis (à la fois une lettre de son père qui lui annonce son départ du domicile conjugal et une volonté d’aller voir ce qui se passe en Europe en cette douloureuse fin des années 30).

Nous reconnaissons très bien les premières parties du livre (l’arrivée au port de Messine, les conversations dans le train vers Syracuse, le face-à-face avec la mère…) et je dois dire que ce fut un plaisir assez inédit que d’avoir à l’esprit les très belles images du film en retrouvant ces longues suites dialoguées. Même lu en français (je ne connais pas l’italien), j’avais l’impression de réentendre l’accent sicilien et les senteurs et lumières de cette île que les Straub ont su si bien capter.

Par contre, on réalise aussi à quel point les cinéastes ont opéré des choix dans leur adaptation pour élider tout ce que le livre peut avoir de symbolique et de métaphorique. Ils se sont concentrés véritablement sur l’aspect « minéral » de cette Sicile que montre le roman : la pauvreté des habitants, la misère des habitations frustes, les souvenirs douloureux des jours où trouver de la nourriture était difficile… De Conversation en Sicile, les Straub ont voulu faire un film universel et immémorial : ils ont donc éliminé tout ce qui dans le livre est plus précisément « daté » (les allusions à la guerre, par exemple).

A travers les mots du rémouleur (la scène reste extraordinaire, aussi bien lue que vue), le message de résistance persiste mais le livre, à la suite de ce personnage, montre bien plus clairement sa logique antifasciste et reste aujourd’hui une critique impitoyable du régime du Duce.

Au départ, Sylvestro suit sa mère dans le village où elle fait des piqûres aux habitants malades. Les scènes sont à la fois plus légères (avec ces belles femmes qui font les coquettes et refusent de se faire piquer devant Sylvestro avant d’accepter et de le troubler par la vision de cette chair nue) mais aussi plus métaphoriques. Souvent, Vittorini place ce petit peuple dans l’ombre des maisons. Le narrateur peut l’entendre mais ne le voit pas : image très belle d’un peuple souffrant dans l’ombre, sous le joug d’un régime odieux. Filant la métaphore, l’écrivain nous lance sur les traces d’une bande d’hommes qui va boire au café et discuter sur « la douleur du genre humain offensé ». Sylvestro se cuite et le temps d’une extraordinaire scène onirique, il dialogue avec son frère mort à la guerre (on n’imagine pas une scène pareille chez les Straub, cinéastes totalement « matérialistes »).

Conversation en Sicile devient alors une méditation très belle sur le sacrifice d’un peuple, sur la vacuité de donner son sang et sur cet héroïsme bidon qui ne consolera jamais les mères de la perte de leurs fils.

Le livre n’a pourtant rien d’un manifeste et s’avère beaucoup plus subtil que ça. Même si une sorte de drapeau rouge flotte à la devanture d’un drapier, cette couleur n’est que le fruit du hasard (vraiment ?). C’est surtout un hommage émouvant à des gens de peu qui souffrent en silence et qui seront, d’une manière ou d’une autre, les éternels sacrifiés.

Un beau livre de résistance, en somme…

NB : Question rituelle : qui me conseillez-vous comme auteur italien pour poursuivre notre bibliothèque idéale ? (pour ma part, j’aime beaucoup les quelques contes que j’ai lus de Boccace, Le héron de Bassani et les nouvelles fantastiques de Buzzati)

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samedi, avril 05, 2008

Bibliothèque idéale n°11 : la poésie française

La vie immédiate (suivi de La Rose publique et de Les Yeux fertiles et précédé de L’évidence poétique) de Paul Eluard (Gallimard. Poésie. 1974)


Peut-être n’est-ce pas le cas pour vous mais, pour ma part, je suis bien incapable de « commenter » de la poésie. En abordant cette catégorie de la « poésie française », j’en ai donc profité pour découvrir celle de Paul Eluard que je connaissais assez mal (mis à part le fameux Liberté que je ne peux pas supporter !)

Poésie surréaliste qu’Eluard définit plutôt bien dans L’évidence poétique : adopter le mot d’ordre de Lautréamont (« la poésie doit être faite par tous. Non par un »), s’inscrire dans la lignée des écrivains irréductibles à toute forme de pouvoir (bel hommage à Sade) et réinventer les notions de Bien et de Beau (« C’est ce bien, c’est ce beau asservis aux idées de propriété, de famille, de religion, de patrie, que nous combattons ensemble. »).

La vie immédiate est un exemple assez convaincant de cette poésie surréaliste libérée de toute contrainte, ne servant qu’elle-même et dont la force subversive vient de sa forme même (d’où les reproches adressés plus tard à Eluard par le grand Benjamin Péret lorsqu’il placera à nouveau sa poésie au service du drapeau et autres calembredaines du même style !)

Pour être tout à fait franc et même si j’ai une passion que je n’ai jamais cherché à dissimuler pour le surréalisme ; je trouve que la poésie d’Eluard a un peu vieilli et ne possède pas l’évidence et la drôlerie de celle d’un Péret (toujours lui !). Disons que le recours systématique à l’inconscient, aux images incongrues, aux rapprochements insolites a été tellement usé en 80 ans qu’on en viendrait presque à ne voir dans Eluard que la « version publicitaire » du surréalisme (celle qui abonde aujourd’hui).

J’exagère, bien entendu, mais c’est pour vous faire comprendre que ces pages marquées par les thèmes surréalistes (l’amour fou, l’onirisme, la révolte contre la dictature du sens…) ne sont pas celles que je préfère du mouvement.

Finalement, Eluard retrouve une seule fois la vigueur subversive de ses petits camarades, le temps d’une Critique de la poésie qui est le moment que je préfère :

« C’est entendu je hais le règne des bourgeois

Le règne des flics et des prêtres

Mais je hais plus encore l’homme qui ne le hait pas

Comme moi

De toutes ses forces.

Je crache à la face de l’homme plus petit que nature

Qui à tous mes poèmes ne préfère pas cette Critique de la poésie. »

Dont acte…

NB : Au niveau de la poésie française, pas de surprise quant à moi : j’adore (comme tout le monde !) Rimbaud, Baudelaire et, peut-être encore plus, l’immense comte de Lautréamont. J’aime également Tristan Corbière, Xavier Forneret et les merveilleux poèmes de Benjamin Péret.

J’apprécie aussi Verlaine et Apollinaire (diable, que je suis classique !). Et vous, qui placeriez-vous dans votre Bibliothèque idéale ?

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