La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

vendredi, août 17, 2007

Les bigots de la modernité

Moderne contre moderne : exorcismes spirituels IV de Philippe Muray (Les Belles Lettres. 2005)

C’est amusant, depuis que j’ai lu ce livre, je ne cesse de me demander ce que Philippe Muray aurait pensé de tous ces faux évènements que nous relate le J.T. Qu’aurait-il trouvé à dire de cette « journée des gauchers » (j’espère qu’on a songé à combler un vide juridique en obligeant les fabricants de guitares à confectionner des instruments pour nos amis gauchers et mettre fin ainsi à une odieuse période de discriminations ! A quand l’instauration de la parité entre gauchers et droitiers dans la fonction publique ? Ou dans les salles de rédaction des journaux où pourtant, une grande majorité écrit déjà de la main gauche !) ou de cette quête toujours plus incessante de coupables lorsque surviennent de malheureux accidents (qu’un manège lâche ou qu’un gosse se noie. Faut-il mettre des écriteaux au bord des rivières avec cette mention : l’eau peut nuire gravement à la santé ?). Quelles réflexions auraient pu lui inspirer cette grotesque mascarade que furent les dernières élections présidentielles et son dégoulinement d’œcuménisme « citoyen » (le peuple a retrouvé le chemin des urnes et a voté pour le Bien, le Moderne et le sens de la marche) qui confirme parfaitement ce que Muray disait : « C’est d’ailleurs à ça, me semble-t-il, que sert le clivage gauche-droite : à maintenir l’illusion d’un monde et d’une réalité historiques encore décryptables et gouvernables dans les termes de jadis, donc à ne rien voir et ne rien savoir de ce qui se passe concrètement. » Avec le ralliement sans vergogne des ordures de la gauche « moderne » (Lang, Kouchner…) au régime du nabot américanophile, nous voyons tous les jours cette illusion s’effondrer…

Mais revenons à cet essai, recueil hétéroclite de textes où Muray porte un regard sarcastique et décapant sur notre Modernité et notre monde en pleine déréliction depuis ce qu’il appelle l’après Histoire (il est amusant de noter qu’Annie Le Brun parle de « trop de réalité » à l’inverse de Muray qui voit disparaître le Réel alors que leurs analyses sont sensiblement les mêmes…).

Le livre est divisé en cinq parties. La première est un ensemble de textes (et d’entretiens) ayant rapport avec l’Art et la littérature. C’est dans la mort du roman que Muray diagnostique tout d’abord un des symptômes de notre Modernité. A mesure que le Réel fuit, il n’y a plus rien à raconter et « le nombril du monde a remplacé le monde » (voir l’analyse très pertinente du phénomène Angot). Muray s’en prend avec une virulence salutaire aux maîtres-penseurs médiatiques et journalistiques d’aujourd’hui (qui orchestrent eux-mêmes de petits scandales dans la sphère du Bien pour mieux ostraciser ceux qui voudraient réellement porter un œil critique sur le monde), à l’intelligentsia qui est incapable de dire un mot sur l’époque (beau texte contre Derrida). Le seul qui échappe à son courroux reste Baudrillard (ce n’est pas un mauvais choix !) dont Muray parle avec une rare intelligence.

La deuxième partie rassemble des textes donnés dans divers journaux (du Figaro à Marianne en passant par L’imbécile et le nouvel observateur) où l’auteur fait ce qu’il sait le mieux faire : porter un regard dévastateur sur les manifestations les plus grotesques de notre modernité. C’est ici qu’on trouvera le désormais fameux Sourire à visage humain consacré à Ségolène Royal mais également toute une série de réflexions sur la fin de l’Histoire, le triomphe du communautarisme, la tyrannie des minorités, l’effacement des identités sexuelles et le triomphe du matriarcat, l’infantilisme généralisé qui va de pair avec une demande outrancière de lois et de normes pour la protection des intérêts de chacun, sur le « moralisme pleurnichard et le libertarisme cynique » ; bref, sur ce qu’il a autrefois appelé « l’Empire du Bien » qui se caractérise par la fin de l’altérité, la résolution des conflits dans la fête permanente (« Homo Festivus ») et l’organisation toujours en mouvement d’un vaste « parc d’abstractions » mondial.

Après une courte troisième partie regroupant trois essais sur l’avenir donnés dans Le débat (dont l’excellent Citoyen, citoyenneté : « Ici comme ailleurs, il s’agit d’abord de mobiliser en faveur de ce qui est ; et dans le seul but de son renforcement. »), la quatrième partie est composée d’un ensemble d’entretiens passionnants où Muray explique très clairement sa pensée.

La dernière, peut-être ma préférée, est un recueil des articles écrits pour le journal La Montagne. L’actualité la plus brûlante (le référendum européen, la canicule de 2003, la guerre en Irak…) ou la plus anecdotique (Paris-plage, les raves…) sert de point d’appui à de courtes analyses d’une finesse et d’une drôlerie réjouissantes. Car Muray est quelqu’un de très drôle et il revient d’ailleurs à plusieurs reprises sur le rôle du rire et sa disparition (« Le rire touche à la fin de son cycle, il est entré dans la sphère des dangerosités homologuées, il porte atteinte aux bonnes mœurs et menace le nouvel ordre humanitaire-victimaire » : je vous jure que je n’avais pas commencé ce livre en écrivant mon texte sur Le témoin de Mocky !). Le fait que ces lignes furent publiées dans le périodique où écrivit Alexandre Vialatte n’a fait que renforcer, dans mon esprit, la communauté de pensée entre ces deux moralistes ironiques et désabusés.

J’avais prévu de parler dans cette note du rapport entre Guy Debord et Muray, de la notion de fête qui fait horreur à notre polémiste mais dont l’esprit, me semble-t-il, a été totalement trahi par rapport à ce qu’entendaient les situationnistes lorsqu’ils écrivaient : « les révolutions prolétariennes seront des fêtes ou ne seront pas, car la vie qu’elles annoncent sera elle-même créée sous le signe de la fête. Le jeu est la rationalité ultime de cette fête, vivre sans temps mort et jouir sans entraves sont les seules règles qu’il pourra reconnaître ». Je ne pense pas qu’ils avaient en tête les immondes « techno parades » ou l’horreur du tourisme de masse lorsqu’ils écrivaient ces mots ! Je ne suis pas toujours d’accord avec Muray dans cette manière qu’il a de lier un peu trop rapidement des conséquences funestes à une cause unique (Mai 68) ni dans cette façon qu’il a de réfuter la théorie du Spectacle debordienne (en faisant mine d’ignorer que cette théorie a, elle-même, évolué et que les commentaires sur la société du spectacle ne sont déjà plus la société du spectacle). De la même manière, je ne partage pas non plus l’admiration de l’auteur pour le pape et sa nostalgie (relative) pour l’ordre judéo-chrétien : on peut-être parfaitement athée et dégueuler face au spectacle répugnant de toutes les bigoteries modernes !

Mais, voyez-vous, la paresse me gagne et j’ai été suffisamment long. Oubliez les petites réserves que je viens de lister et plongez-vous dans l’œuvre de Muray : c’est un régal !

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vendredi, août 10, 2007

L'Enthousiaste

Oui de Marc-Edouard Nabe (Editions du Rocher. 1998)

L’arrêt momentané de mon abécédaire prend effet aujourd’hui puisque je n’ai pas encore acheté le livre qui illustrera la lettre Q et qu’il me reste une quinzaine de titres dans ma PAL (pile à lire) avant de m’y remettre !

Commençons cette parenthèse en revenant sur Marc-Edouard Nabe, sans doute le plus grand écrivain français aujourd’hui. En 1998, les éditions du Rocher ont eu la bonne idée de rééditer ses articles de presse en deux volumes intitulés Oui et Non, en regroupant d’un côté les textes où Nabe exprime son admiration, de l’autre ceux où il laisse libre cours à sa haine vengeresse. Non est un livre cher à mon cœur puisque c’est le premier qu’il m’ait été donné de lire de l’auteur. Livre difficile pour un jeune homme encore imbibé de ses certitudes « de gauche » et devant se coltiner avec l’épouvantable réputation de l’auteur à laquelle je faisais allusion ici. Mais c’est peut-être grâce à ce livre que j’ai compris que les choses n’étaient pas aussi simples et manichéennes que la séparation gauche/droite et qu’il était sans doute bien plus « subversif » et « révolutionnaire » de préférer Bloy à Zola ou Céline à Sartre…

Cela faisait près de 10 ans que j’attendais de lire Oui pour découvrir la face lumineuse de Nabe, celle où il exprime avec sa verve coutumière son admiration pour certains individus et certaines œuvres. Car ne nous y trompons pas : si Nabe est un redoutable pamphlétaire, capable d’une férocité impitoyable dans l’expression de son dégoût, il est également un grand Enthousiaste (la majuscule Bloyenne s’impose), peu avare de ses mots pour témoigner de son amour. Et c’est sans doute la virulence de ses colères qui donne encore plus de sel et de poids à ce recueil de textes apologétiques.

Quiconque connaît un peu Nabe ne s’étonnera pas de constater, une fois de plus, que le seul pays qu’il habite est celui de l’Art. Autant les rafales tirées dans Non visaient larges et atteignaient à peu près toutes les horreurs de notre monde contemporain (la politique de gauche à droite, de Mitterrand à Le Pen ; l’Europe, les patrons, les syndicats, le rap, les médias et la presse couchée, la gay pride, les téléphones portables, la police…) ; autant les enthousiasmes de Oui se concentrent uniquement dans la sphère de l’Art si on excepte quelques textes atypiques sur des questions religieuses (un éloge de Saint-François, une conférence sur l’apparition de La Salette) et trois portraits de personnalités « politiques » que Nabe admire : Malcom X (et encore, il en parle à cause du film de Spike Lee), Gandhi et un long texte sur Che Guevara (j’ai d’ailleurs eu la surprise de constater que ce très beau portrait avait été écrit pour le pire des magasines snobinards de l’époque : Technikart. Aucune surprise par contre de découvrir à la fin que ces merdeux avaient refusé un texte qu’ils ne méritaient en aucun cas !)

Près de 95% du recueil est constitué de textes où l’auteur exprime ses goûts sur les différents domaines de l’Art. Et encore, il faudrait limiter car tout ce qui relève de la peinture (Soutine), l’architecture (l’art nouveau) et la sculpture (Brancusi) est plutôt négligé (ce qui est dommage car nous connaissons, par le journal intime, le goût de Nabe pour Dali et Picasso, par exemple, et nous n’aurions pas craché sur un texte concernant ces gens-là)

Le « oui » de jouissance que prononce Nabe, c’est donc avant tout pour la musique (le jazz), la littérature et le cinéma (devinez sur quel domaine je vais m’étendre le plus !).

Commençons par la musique car c’est le domaine où, il faut bien l’avouer modestement, je m’y connais le moins. A part quelques noms célèbres, je n’entends absolument rien au jazz et il faut vraiment le talent de plume de Nabe, son lyrisme exacerbé pour donner envie d’écouter « l’éléphant » Sony Rollins, le « cygne » Eric Dolphy ou « le Christ » Charlie Christian. L’amour qu’il porte à Monk, Parker ou Mingus atteint un tel degré d’incandescence qu’il lui permet de toujours trouver une métaphore nouvelle, un fil directeur original dans la dithyrambe et d’éviter ainsi le côté fastidieux que peuvent avoir les éloges des gens que nous ne connaissons que de nom.

Côté littérature, c’est du classique et nous ne nous étonnerons pas de voir dans ce recueil pas moins de trois textes consacrés à Bloy, sans doute l’auteur dont Nabe se sent le plus proche. Pas de surprise non plus de retrouver Céline (abordé par le biais d’un portrait de Lucette, au moment où Nabe devait préparer le roman qu’il lui consacrera), Suarès, Simone Weil, Bernanos, Claudel ou à Roger Gilbert-Lecomte. Tous ces textes sont admirables, Nabe pénétrant avec une rare acuité et une sensibilité toute personnelle dans ces grandes œuvres de la littérature. Même lorsqu’il s’excuse d’avoir une approche presque trop « classique » d’un auteur (la superbe conférence sur Bernanos qui conclut le livre), il fait preuve d’une intelligence et d’une lucidité dont devraient s’inspirer bien des commentateurs (surtout les « bernanosiens » d’aujourd’hui qui appellent à voter Sarkozy ! Rires)

S’il fallait distinguer un texte dans le recueil, je crois que je choisirais celui que Nabe consacre à John Cowper Powys. Est-ce parce que j’aime également énormément cet auteur que j’ai bu à ce point du petit lait ? Peut-être ! Toujours est-il que ce portrait amoureux du « barde du bonheur » est admirable de bout en bout et qu’il témoigne parfaitement de ce qu’a toujours été Nabe : un individualiste amoureux, un grand lyrique et un parfait jouisseur (si l’Art ne sert pas à jouir, à quoi sert-il ?)

Là encore, on regrette que certains auteurs ne soient pas abordés car nous connaissons l’affection que leur porte Nabe, que ce soit Sade, Wilde ou Kafka (voire même le Rebatet des Deux étendards).

Enfin, il reste le cinéma avec lequel Nabe entretient un rapport ambigu, où se mêlent un amour passionné (rien ne peut-être dépassionné chez lui) et un regard très critique (le texte le dernier esquimau commence par cette phrase : « le cinéma est mort-né »). Et bien qu’il prenne soin de préciser qu’il n’est pas « critique de cinéma » mais « un écrivain passionné par Eisenstein, Sacha Guitry, Henri-Georges Clouzot, Fassbinder, Pasolini ou Orson Welles », on a un peu honte de constater qu’aucune revue de cinéma n’ait eut l’idée d’accueillir les textes lumineux qu’il a consacrés au septième art. Ah, si, pardon ! Deux textes ont été publiés dans…Première ! Eh bien mine de rien, grâce à ces deux textes, cette revue parvient presque à ridiculiser la collection complète des Cahiers du cinéma depuis 15 ans ! (J’exagère car l’article sur l’enfer de Clouzot et l’éloge du Garçu de Pialat ne comptent pas parmi les meilleurs textes du recueil)

Même si je ne suis pas toujours d’accord avec ses vues (je ne partage pas totalement l’admiration qu’il porte à Clouzot, surtout pas à La prisonnière), son regard est toujours décapant et stimulant (de la même manière, j’aime énormément l’analyse qu’il fait, dans J’enfonce le clou, de la passion du Christ de Mel Gibson même si je trouve le film absolument épouvantable)

Ecoutez le parler de Fassbinder, c’est absolument génial : « Fassbinder est trop à contre-courant de notre néoréalisme d’aujourd’hui, du moralisme gentillet et de l’optimisme mou. Ses films de hauteur ne passeraient pas la rampe de l’aide au tiers-monde, du paternalisme occidental, du confort des normes, de la bonne conscience à l’ombre des bornes qu’il ne faut pas dépasser, du minoritarisme militarisé, et même de l’institution homosexuelle… ». Tout serait à citer ! A part Fassbinder à qui il consacre deux textes, il faut lire les superbes lignes qu’il dédie à Pasolini, aux Marx brothers ou encore à Robert Le Vigan et Ava Gardner (un hommage funèbre d’un lyrisme à vous donner la chair de poule). Il faut aussi évoquer, même si elle est moins célèbre, cette oraison offerte à Olga Georges-Picot après son suicide. Encore un texte commandé puis refusé (par Paris-Match, cette fois ! Honte à eux !) qui prouve la sensibilité à fleur de peau de l’auteur. En plaçant la mort de l’actrice dans le cercle malheureusement assez large des célébrités suicidées, il signe un texte d’une rare douceur et d’une intense émotion (la fin m’a fait monter les larmes aux yeux).

Comme quoi, Nabe est peut-être un fanatique mais son fanatisme se marie aussi bien avec la haine qu’avec l’amour.

Et ce recueil est une belle occasion de découvrir son côté passionné et de dire « oui » à ce grand écrivain…

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mercredi, août 08, 2007

Notes sans portée

Papiers collés (1960) de Georges Perros (Gallimard. L’imaginaire. 1990)

Comédien, membre de la Comédie-Française, ami de Jean Grenier et de Gérard Philipe ; Georges Perros deviendra lecteur chez Gallimard (quel beau métier !) et collaborera par la suite régulièrement à la N.R.F. Peut-on dire de lui qu’il fut écrivain ? A mon sens, il fut plus un grand lecteur qu’un grand auteur, notant au fil du temps des bribes de textes, des réflexions, des aphorismes, des maximes… Ses Papiers collés (il en existe trois volumes : j’ai lu les deux premiers) sont les recueils de ces notes, auxquelles il faut ajouter des études critiques et divers portraits d’écrivains (Paulhan, Grenier, Parrain, Raymond « le langage fait des petits » Roussel…) et de poètes (Valery, Mallarmé qu’il adule…).

Plutôt que de commenter lourdement ces patchworks d’impressions, d’humeur et de réflexions, je vous en livre, pour la bonne bouche, quelques extraits en vous avouant que la prose de Perros m’a fait le même effets que les amuse-gueules qu’on sert à l’apéritif : exquis à petite dose mais un peu écoeurant quand on s’en goinfre 600 pages d’un coup. Je vous conseille donc plutôt de picorer dedans…

« Aimer, c’est donner à quelqu’un le droit -sinon le devoir- de nous faire souffrir. »

« L’érotisme, c’est de donner au corps les prestiges de l’esprit. »

« Est écrivain tout individu qui n’ose pas vivre franchement. Tout écrivain valable est en mauvaise santé. (Rien à voir avec la santé physique). »

« Trop vieux pour se marier, il prit une jeune maîtresse. »

« La lecture des journaux fait plus de mal que le vin, le tabac et les femmes réunis. »

« Il y avait, certes, de la vulgarité dans l’air. Mais tout est vulgaire, vu solitairement, il ne faut pas s’y fier. »

« L’écriture a cette vertu de nous faire exister quand nous n’existons plus pour personne. »

Inutile de préciser que j’ai noté les mots qui me touchaient le plus personnellement. En guise de bonus, je vous offre un petit supplément tiré du volume 2 des Papiers collés :

"Les acteurs, c’est comme le papier hygiénique, ça ne devrait servir qu’une fois. »

« Moins je mens, plus je rougis. »

« Travailler ! Travailler ! Comme si j’avais le temps. »

« La morale, c’est de savoir ce que pense les autres, et d’essayer de les redresser, pour qu’ils pensent comme nous. Rien de plus bête. »

« Il n’y a qu’une chose à faire, c’est d’être amoureux. De risquer de l’être. Sinon, c’est la mort. »

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vendredi, août 03, 2007

Echapper à la glaciation...

Toutes choses scintillant (2002) de Véronique Ovaldé (J’ai Lu. 2005)

Si, en arrivant à la lettre O de mon abécédaire, mon choix s’est porté sur Véronique Ovaldé, c’est parce que je connaissais déjà un peu cette auteur et que j’avais apprécié son Déloger l’animal. A partir d’un thème estampillé « littérature jeunesse » (les atermoiements psychologiques d’une fillette dont la mère a disparu), Ovaldé parvenait par la grâce d’une écriture assez « tordue » à nous faire pénétrer dans l’univers mental de cette petite fille et à nous donner une vision du monde assez proche de celle de l’enfance (avec son prisme déformant et ses milliers de questions).

Toutes choses scintillant, qui est un roman écrit antérieurement, s’appuie un peu sur le même principe. L’action se situe sur une île polaire mais l’on sent bien que ce paysage glacial et enneigé n’a qu’un rôle métaphorique et traduit, à nouveau, les états d’âme d’une jeune fille, Nikko, qui doit subsister chaque jour dans un univers gangrené par une catastrophe écologique et la pollution, au cœur de l’agonie d’une société peuplée d’hommes alcooliques et brutaux et de femmes tristes.

Il est peut-être un peu tôt pour dire si Véronique Ovaldé est un véritable écrivain mais l’on ne peut nier qu’elle possède déjà une singularité d’écriture qui la distingue du lot des « écrivaniteux » du moment. Le temps nous dira si cette singularité un peu aride est un véritable style mais en attendant, toujours est-il qu’elle parvient ici à se glisser dans la tête de son héroïne et à nous faire partager les angoisses de son quotidien.

Si Toutes choses scintillant m’apparaît néanmoins comme un peu plus faible que Déloger l’animal, c’est que l’auteur ne parvient pas à tenir sur la longueur la radicalité de son point de vue unique. Elle cherche à ancrer son récit dans un « réalisme » qui aurait plutôt tendance à le desservir (comme dans ce chapitre qui explique la situation de cette bourgade et les raisons de la contamination de la population par des déchets toxiques). De la même manière, Ovaldé tente de cerner les multiples points de vue de Nikko qui avance dans l’âge : point de vue de l’enfance où la petite est persuadée d’avoir des pouvoirs magiques (ces « choses scintillantes » que j’ai vues également gamin m’ont plutôt touché), point de vue de l’adolescente qui se tape tous les ados mâles du coin et point de vue de la femme mariée puis de la mère de famille et de son rapport privilégié avec son enfant.

Là encore, on retombe dans des choses un peu plus convenues (cliché du père absent, des liens maternels, d’un vieux fond de féminisme un peu rance…).

C’est dommage car les réserves que je suis en train de lister ne doivent pas vous détourner d’un roman attachant, peuplé de figures inquiétantes et fantomatiques (le personnage du père, vu comme un ogre par les yeux de sa fille, est parfaitement bien dessiné).

Ovaldé cherche à cerner les contours d’un cerveau féminin arrivé dans un monde sans avenir et qui doit se battre pour échapper, malgré tout, à sa condition. Le côté « mental » du livre me paraît réussi mais affaibli par quelques notations « réalistes » ou idéologiques (nul ne doutant que le féminisme est également une idéologie !).

Déloger l’animal a prouvé par la suite qu’elle était capable de se débarrasser de ces scories et que nous pouvions désormais miser sur son talent…

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jeudi, août 02, 2007

N comme Nimier

Les épées (1948) de Roger Nimier (Gallimard. L’imaginaire. 2003)

Nous évoquions dans notre dernière note le Oui de Marc-Edouard Nabe. Il nous faudra aujourd’hui, en introduction, évoquer aussi son Non puisque c’est dans ce recueil que l’on peut trouver un texte assez vachard et lucide sur les « hussards ». Pour l’auteur du Régal des vermines, il y a d’un côté les hussards et leurs petites insolences calculées, leur ironie facile et ceux qu’il définit comme les « grands d’Espagne ». Et « Nimier savait, en bon hussard qui n’a pas su devenir grand d’Espagne, reconnaître les grands d’Espagne : Bernanos, Péguy, Céline… »

Malgré cela, Nabe reconnaît également que les épées reste son meilleur roman et, de fait, je confirme l’intérêt que l’on peut prendre à ce court récit fragmentaire où Nimier suit les pas d’un jeune homme suicidaire de 1937 à 1946 (en gros).

Le prologue nous présente François Sanders, jeune adolescent de 14 ans, au moment où il tente de se suicider. L’échec de cette tentative permet au lecteur de saisir la nature trouble de l’affection qui le lie à sa sœur Claude, amour fraternel ambigu qui servira de fil conducteur à une narration qui n’hésite pas à nous malmener par de grosses ellipses temporelles.

Nous retrouvons effectivement François pendant la seconde guerre mondiale et nous suivons son parcours qui ne semble suivre que les traces de son désir suicidaire. En effet, il ne s’engage dans la résistance que pour se sacrifier à une cause à laquelle il ne croit pas et lorsqu’il sent le vent tourner, il tourne casaque et prend un malin plaisir à plonger du côté des allemands pour sombrer dans leur apocalypse.

Il y a du Drieu la Rochelle dans ce personnage désabusé et tenaillé dès les premières pages par le dégoût de vivre. Sauf que le romantisme de l’action a laissé place ici à une sensation d’absurde et de déréliction totale. Sur la fin du récit, François se retrouve à une table du café Lafcadio. Que Nimier ait choisi ce nom ne peut pas être le fruit du hasard. Il s’agit du nom du fameux héros de Gide qui fait l’expérience de la liberté en commettant l’acte le plus gratuit qui soit : pousser un inconnu d’un train en marche.

François commettra d’ailleurs un acte similaire en abattant gratuitement un juif arrogant à la Libération. Dans un monde qui a perdu son sens, les actes de chacun ne semble plus répondre à aucune règle, à aucune éthique ou morale.

Brillamment écrit jusqu’à une certaine affectation (cette manière de franciser l’orthographe des termes anglo-saxons : « slau », « poulover », « bohiscoute »…), Les épées est un roman assez déroutant et paradoxal, qui épouse le point de vue d’un anti-héros ne croyant plus en rien. Nimier semble renvoyer tout le monde dos à dos dans une vision assez apocalyptique de la France : absurdité de la guerre, veulerie de la France occupée, arrogance d’une Résistance fantasmée et mythique… Son Sander surfe sur toutes ces vagues et ne semble raccroché à l’existence que par cet amour pour la sœur qu’il adule.

Cette ambiguïté peut parfois un peu irriter mais elle fait aussi le prix du livre et donne envie d’aller plus loin dans la découverte de l’œuvre de Nimier.

Un auteur de plus à explorer !

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